Nicosie - La taxe sur les dépôts bancaires à Chypre, prévue dans le cadre d'un plan de sauvetage, pourrait porter un coup fatal au secteur bancaire et entraîner l'île dans des années de récession, préviennent des experts.
"Le plan de l'Eurogroupe a porté un coup sévère à Chypre, il a sonné le glas du secteur financier de Chypre", estime l'économiste Simeon Matsi.
Le président chypriote Nicos Anastasiades a conclu samedi à l'aube un accord sans précédent avec l'Eurogroupe à Bruxelles prévoyant une taxe exceptionnelle allant jusqu'à 9,9% sur tous les comptes bancaires, qui rapporterait 5,8 mrd EUR, en échange d'un plan de sauvetage de 10 mrd EUR.
"Le secteur bancaire repose sur la confiance, s'il n'y a pas de confiance, il n'y a pas de secteur bancaire. Personne ne va plus faire confiance à Chypre quoi qu'il arrive", a ajouté l'économiste pour qui la "réputation" de l'île est définitivement ternie.
"Je propose que nous refaisions les calculs. Si nous ne le faisons pas, nous ne pourrons plus rétablir la confiance des déposants, parce que nous avons rompu notre contrat avec eux", a déclaré le gouverneur de la banque centrale chypriote, Panicos Demetriades, en plaidant pour une limitation du taux pour les petits dépôts et une augmentation pour les plus gros.
La totalité des dépôts bancaires représentent environ 67 mrd EUR, soit plus de quatre fois le PIB de l'île. Les besoins de Chypre pour couvrir sa dette s'élèvent à 17 mrd EUR, soit l'équivalent de son PIB annuel.
L'annonce de cette mesure a fait l'effet d'un coup de massue pour les détenteurs de comptes bancaires à Chypre. Le président chypriote doit obtenir lundi l'approbation du Parlement de cette mesure impopulaire qui a d'ores et déjà orienté à la baisse les places financières.
Lundi était férié à Chypre et les banques sont restées fermées depuis l'annonce de la mesure.
DES MILLIONS DÉJÀ RETIRÉS
Pendant tout le week-end, les déposants ont toutefois tenté de retirer des fonds aux guichets automatiques pour alléger leurs comptes.
Pour M. Matsi, cette mesure va également provoquer des retraits massifs de la part des investisseurs étrangers en particulier russes dont les avoirs à Chypre sont estimés à au moins 20 mrd EUR, voire beaucoup plus, selon certains experts.
"Je ne pense pas qu'il soit question que les banques ouvrent (mardi) car il va y avoir une ruée et des millions d'euros ont déjà été retirés aux guichets automatiques. Elles doivent rester fermées quoi qu'il arrive", estime M. Matsi.
"Les Russes signalent déjà qu'ils veulent retirer leur argent", a-t-il ajouté, faisant état de démarches entreprises par des avocats pour sortir des milliards d'euros dès que les transferts seront à nouveau autorisés.
"Des milliards vont être retirés, nous avons déjà connaissance de 3 milliards prêts à être transférés", selon lui.
Pour un autre économiste, Costas Apostolides, la taxe sur les dépôts, qui n'a été appliquée à aucun autre pays en difficulté de la zone euro, aura un impact sur toute l'économie mondiale.
"Les actions ont chuté sur les marchés asiatiques et si c'est le même cas en Europe cela démontrera que Chypre est (un risque) systémique et le monde entier paie un prix plus élevé que l'accord de l'Eurogroupe pour Chypre", estime-t-il.
Le gouvernement chypriote s'est rendu aux négociations "sans aucune préparation", ajoute-t-il. "Nous n'aurions pas dû nous laisser impressionner par le bluff de l'Europe".
"Chypre ne pourra pas sortir de la récession durant les 20 prochaines années et nos enfants vont payer ces erreurs", estime-t-il.
Mais "si la proposition est rejetée aujourd'hui (par le Parlement), alors nous nous retrouverons très probablement hors de l'Europe et devrons repartir à zéro", estime M. Matsi.
LA TAXE BANCAIRE A CHYPRE S'APPARENTE A UNE "CONFISCATION" (Medvedev)
Moscou - La taxe sur les dépôts bancaires acceptée par Chypre en échange d'une aide internationale s'apparente à "une confiscation de fonds étrangers", a dénoncé lundi le Premier ministre russe Dmitri Medvedev.
"Disons-le franchement, cela ressemble à une confiscation de fonds étrangers. Je ne sais pas qui est à l'origine de cette idée, mais cela ressemble à cela", a déclaré le chef du gouvernement cité par les agences russes.
M. Medvedev a prévenu que la situation pousserait la Russie à "corriger sa position" sur le dossier chypriote.
L'agence Moody's a évalué à 19 milliards de dollars les seuls avoirs de sociétés russes placés à Chypre, auxquels s'ajoutent 12 milliards de dollars d'avoirs de banques russes dans des établissements chypriotes.
Les experts cités lundi par la presse à Moscou estiment les pertes que vont subir les Russes à deux à trois milliards d'euros.
Jusqu'à présent, le gouvernement russe s'était dit prêt à aider Nicosie, dont les banques se trouvent au bord du gouffre en raison de leur exposition à la Grèce, sous la forme d'une restructuration du prêt de 2,5 milliards de dollars accordé en 2011.
Le ministre chypriote des Finances Michalis Sarris est attendu mercredi à Moscou, une visite qui avait été dans un premier temps fixée à lundi.
Lundi matin, le Kremlin avait qualifié l'idée de la taxe, de 9,9% pour les dépôts dépassant 100.000 euros, d'"injuste" et de "dangereuse".
La proposition doit encore être approuvée par le Parlement chypriote.
L'UE EMPRUNTE UNE ROUTE TRES DANGEREUSE
Lisbonne - En envisageant de taxer les dépôts bancaires dans le cadre du plan de sauvetage de Chypre, l'Union européenne a emprunté "une route très dangereuse", a estimé lundi le président portugais, Anibal Cavaco Silva, dont le pays est sous assistance financière internationale.
"L'Union européenne emprunte une route très dangereuse. J'espère que le bon sens reviendra chez les dirigeants européens", a affirmé le chef d'Etat aux médias portugais depuis Rome, où il assistera mardi à la messe inaugurale du pape François.
"Il faut beaucoup de bon sens quand il s'agit des piliers fondamentaux du système bancaire de tous les pays européens et pas seulement", a souligné M. Cavaco Silva, docteur en économie et ancien Premier ministre portugais du même parti de centre-droit que l'actuel chef du gouvernement, Pedro Passos Coelho.
"La confiance des épargnants est un des piliers d'un système financier" et "les livres nous apprennent qu'en cas de manque de confiance dans le système bancaire, aucun pays ou presque n'y échappe", s'est inquiété M. Cavaco Silva.
La zone euro et le Fonds monétaire international ont trouvé samedi un accord sur un plan de sauvetage d'un maximum de 10 milliards d'euros pour Chypre, en échange d'une taxe exceptionnelle sur les dépôts bancaires. Le Parlement chypriote doit se prononcer mardi sur cette mesure très controversée.
Au Portugal aussi, la solution envisagée par l'UE et le FMI suscite une vive inquiétude et, dans le sillage des déclarations du président de la République, le chef de l'opposition socialiste a accusé les dirigeants européens de "jouer avec le feu".
"L'Europe doit comprendre que l'austérité ne résout aucun problème, bien au contraire. Et cette idée saugrenue concernant Chypre n'a aucun sens", a déclaré le secrétaire général du Parti socialiste, Antonio José Seguro.
Le gouverneur de la banque du Portugal, Carlos Costa, a pour sa part cherché à rassurer les Portugais en affirmant lundi que la situation de Chypre était "un problème spécifique qui n'est transposable à aucun autre pays".
"Nos déposants peuvent être tranquilles, sûrs et confiants d'avoir un système financier parmi les plus stables et les plus capitalisés en Europe actuellement", a-t-il déclaré.
awp
afp
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